Mémento d’une création datant de 1989
Afin de bien situer l’importance que j’accorde à la technologie dans ma création, pourquoi ne pas prendre pour exemple des projets réalisés lors de mon entrée dans l’ère informatique, en 1989. Malgré des possibilités bien en deçà de celles qui existent aujourd’hui, la venue de la micro-informatique allait modifier les méthodes de travail…,
[…] notamment en assurant une grande rigueur d’exécution. Mes premiers contacts avec la CAO (conception assistée par ordinateur) — on notera l’anachronisme de cette expression — remontent donc au Macintosh SE et à Illustrator 88, l’une des premières versions de ce logiciel. Ces nouveaux outils avaient été apprivoisés alors que, comme concepteur d’un symbole pour l’Association des médecins psychiatres du Québec, il nous fallait produire les prêts-à-photographier en assurant un contrôle inégalé dans le tracé des courbes. Avec l’aide d’un technicien dévoué, l’emploi d’Illustrator s’est avéré étonnamment efficace, bien plus que si j’avais retenu le tire-ligne et le pistolet.
Dans l’année qui a suivi, et sur la base de travaux personnels cette fois, j’ai approfondi le logiciel dans l’espoir de créer des motifs pouvant s’adapter à de véritables objets. J’avais ciblé l’art de la table et le décor de pièces de vaisselle, entre autres puisque le rebord d’une assiette — le marli — me semblait être une surface propice à l’élaboration de nouveaux principes ornementaux.
Les approches de dessin, implicites à Illustrator, favorisent la manipulation d’une forme par des transformateurs géométriques (translation, taille, rotation). Ces transformations sont appliquées suivant des mesures exactes ou à vue d’œil. Bien entendu, et considérant la configuration circulaire de notre support, le contrôle d’une rotation sur des angles précis fut particulièrement utile.
Figure 1 : Illustration vectorielle, réalisée en vue d’un tirage optique sur diapositive
L’ordinateur était à la fois exploité pour le développement de concepts et pour la réalisation des films négatifs. Ces derniers allaient servir à la production des décalques qui seraient ensuite appliqués sur une vaisselle blanche, donnant ainsi à voir un prototype très semblable à l’objet manufacturé. À l’époque, nous utilisions des transferts à sec appelés Chromatec, un procédé semblable à celui d’une feuille Letraset fabriquée sur mesure. Onéreuse, cette technique était utilisée principalement en design d’emballage, pour la réalisation de modèles d’apparence réaliste.
Figure 2 : Prototype d’une assiette, réalisé en 1989
Lors de ces expérimentations, notre plus grand défi fut de se soumettre aux contraintes de l’objet tridimensionnel. Si dans Illustrator, l’espace de travail est strictement 2D, c’est à un objet volumétrique que notre design était destiné. En effet, comme la couronne d’une assiette en porcelaine est souvent inclinée, voire galbée dans certains cas, il nous fallait donc ajuster le motif en conséquence. Autrement dit, pour que le dessin se cale parfaitement sur le marli, nous devions le concevoir par rapport à une forme conique plutôt qu’un disque à plat. Ceci obligeait à reprendre un motif initialement prévu sur 360 degrés et à le rabattre sur un secteur circulaire de moindre grandeur, comme on peut le voir dans la figure ci-dessous. L’obtention du volume en forme de cône survient dès que l’on retire la matière dans l’interstice du ruban et que ses deux extrémités sont ressoudées.
Il fallait aussi anticiper la différence des mesures : le diamètre du disque à plat par rapport au diamètre du disque entrouvert appelé à former le cône, ainsi que l’angle d’ouverture nécessaire à la bonne inclinaison du rebord. Une bonne révision des notions en trigonométrie du niveau secondaire aura été nécessaire pour résoudre ce problème.
Figure 3 : Mise à plat du motif destiné à orner un marli légèrement incliné